TomorRode et la fabrique d'imaginaires

Photo de Gerda Look

  1. Pourquoi imaginer ? Imaginer est-ce nier la réalité ?

A cette question philosophique, nous pourrions y répondre classiquement en 3 parties thèse, antithèse, synthèse que nous résumerons ici sommairement.

            Imaginer provient du latin « imaginari » signifiant concevoir dans son esprit l'image d’un être ou d’une chose. Il s’agit bien ici de s’extirper d’une réalité soumise aux lois physiques et de concevoir sans entrave dans son esprit. Par l’imagination, nous nous donnons la possibilité de créer une fiction déconnectée de la réalité. L’exemple le plus flagrant est l’imaginaire des super-héros, dotés de pouvoir extra-ordinaire. En cela, l’imagination est bien en opposition frontale avec la réalité, ne dit-on pas d’ailleurs que l’on rêve pour s’évader de la réalité.

            Pourtant l’imagination et le rêve se basent sur une certaine réalité, agencée peut-être différemment, mais dont les éléments et les concepts intrinsèques sont bien réels. Ainsi par exemple le roman Games of Thrones est totalement fictif, mais se base sur une réalité historique empreint de l’ère médiévale et fonctionnant comme une société féodale. L’imagination, en ce sens, bien loin de la nier, réaffirme, par l’immersion qu’elle propose, certaines réalités parfois oubliées.

            Enfin, l’imagination nous autorise à transformer notre réalité et nous projeter vers un espace de futures réalités potentielles, l’espace des imaginaires. Nous le voyons à travers par exemple de l’imaginaire technologique portant depuis le début des révolutions industrielles des valeurs d’émancipation au travers du progrès technique et qui depuis s’est largement réalisé. Pourtant, nous sentons maintenant l’essoufflement de cet imaginaire, la promesse d’émancipation est en train de se refermer vers une maximisation de notre addiction aux GAFA, une maximisation de notre auto-aliénation. Il est donc urgent de créer de nouveaux imaginaires.

 

« Tout imaginaire paraît « sur fond de monde », mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un dépassement caché vers l'imaginaire. Toute conscience imageante maintient le monde comme fond néantisé de l'imaginaire et réciproquement toute conscience du monde appelle et motive une conscience imageante comme saisie du sens particulier de la situation. » Jean-Paul Sartre, Imaginaire

  1. L'imaginaire des villes en transition

            Les villes en transition souhaitent proposer un imaginaire enviable et inspirant pour l’humanité. Elles ont pour objectif de créer un monde inspirant basé sur l’autonomie énergétique et alimentaire, sur des commerces indépendants et équitables, sur une éducation à l’environnement.

Rob Hopkin, fondateur de ce mouvement, se sert de l’imagination, de notre faculté de se projeter comme d’un outil pour réfléchir à des sociétés respectueuses de l’environnement et de l’imagination collective comme d’un levier pour adapter nos modes de vies.

            Dans ce monde imaginé en archipels de villes, l’homme a réussi à atteindre l’objectif de zéro émission avec des bâtiments biosourcés, des liaisons douces, des potagers urbains en symbiose avec la Nature et la biodiversité.

            Le fait d’éviter la moralisation, de créer une inspiration et un réenchantement du quotidien par des initiatives durables, permet d’embarquer un collectif vers le défi de la transition considéré comme une histoire collective non stigmatisante.

 

« Si l’histoire est le moteur du monde depuis toujours si c’est ce qui a permis aux êtres humains de construire les pyramides ou bien d’aller sur la Lune, il y a de fortes chances pour que le moteur principal qui permette de transformer les sociétés vers une transition durable soit de raconter des récits. » Cyril Dion

            Cet imaginaire a réussi à s’étendre dans tout le globe terrestre, toutefois ce succès est à relativiser car il reste aujourd’hui minoritaire et peu audible. Une des explications réside peut-être dans le fait que cet imaginaire écologique a longtemps été un domaine de scientifiques bombardant la société de chiffres intangibles avec lesquels il était difficile de s’identifier. Une autre piste est qu’il ne s’agit pas du seul imaginaire proposé, se traduisant par une bataille des imaginaires. Cette bataille s’entend, entre les différents courants de pensée, de croyance mais aussi de pouvoirs.

  1. Les imaginaires et la guerre des imaginaires

            Entre l’imaginaire technologique, l’imaginaire totalitaire, l’imaginaire apocalyptique, l’imaginaire survivaliste, l’imaginaire résilient ou symbiotique lequel choisir et comment le choisir ?

            Il y a deux grands types d’imaginaires. Le premier, l’imaginaire épousant, soit-disant, les attentes du public, centré sur le spectaculaire, est conçu pour divertir. Il place l’individu dans une attitude neutre voire passive et est propice à l’évasion, à l’abandon. Il y a dans ces imaginaires des contre-parties implicites et tues qu’il est important d’expliciter pour pouvoir les accepter ou rejeter en conscience. Cela semble évident dans les imaginaires totalitaires où la protection (physique, sanitaire, etc) de l’individu passe par une perte de libertés, c’est plus insidieux dans des imaginaires technologiques où l’émancipation, la fluidité et la simplification de nos vies sont troqués contre certains pans de nos libertés devenant de facto privatisées (ex : liberté d’expression sur Facebook etc.).

            Le deuxième type d’imaginaire est centré sur une approche critique du monde. Il est propice à la réflexion et donc à l’émancipation. De ce fait il n’est pas accessible à tous car oblige l’individu à être actif. En revanche il permet de subvertir voire convertir, transformer et faire évoluer. Afin que ces imaginaires puissent mettre en mouvement, il est fondamental qu’ils opèrent par la dimension affective et émotive (littéralement e-movere). Les créateurs d’univers parlent d’alliage incandescent lorsque l’expérience de pensée est complète et parvient à allier l’affect (émotions), le percept (sensation) et le concept (idées). Ces imaginaires sont de facto bien plus compliqués à mettre en œuvre et à susciter une forte mobilisation.

            L’imagïnaire du Ï tréma par Alain Damasio. « L’ironie de la nomomancie est qu’entre GAÏA et GAFA, il n’y ait qu’une simple lettre d’écart, comme entre la vérité (emeth) et la mort (meth) dans le mythe de Golem. Cette lettre […] c’est une voyelle pointue, pétillante et diacritique. C’est un i tréma dont le double point amorce déjà la constellation où habiter. [Il] fait clin d’œil à l’Intelligence Amie qui donne naissance aux vrais politiques des Communs. Elle est l’Intelligence Collective qui n’a plus besoin de serveurs, juste de corps et de cerveaux. »

  1. Quel imaginaire pour TomorRode ?

            TomorRode se veut être un étendard soutenant toutes les initiatives de transition à Rhode. Toutefois il y a lieu d’ancrer et d’adapter l’imaginaire de ville en transition à notre histoire commune, à notre espace communal. C’est pourquoi nous souhaitons le faire émerger, partager et construire à l’instar de l’intelligence collective, par les Rhodiens eux-mêmes.

            Pour créer notre imaginaire, il faut se donner le temps, le temps de divaguer et de rêver. Alors, faisons une pause dans nos vies trépidantes et autorisons-nous à s’ennuyer, à penser, à imaginer.

            « Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer, d’autres hommes seront capables de le réaliser. » Igor Sikorsky