Forêt silencieuse, aimable solitude, Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré ! Dans vos sombres détours, en rêvant égaré, J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude ! […] Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière Ici, loin des humains ! Au bruit de ces ruisseaux, Sur un tapis de fleurs, sur l’herbe printanière, Qu’ignoré je sommeille à l’ombre des ormeaux ! Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles ; Ces genêts, ornements d’un sauvage réduit, Ce chèvrefeuille atteint d’un vent léger qui fuit, Balancent tour à tour leurs guirlandes mobiles. […] — François-René de Chateaubriand (1768-1848)
Vous pensiez que la forêt était un écosystème dans lequel brâment les cervidés et autres bêtes à cornes ? Vous pensiez que la forêt était une parenthèse à l’activité humaine et son vacarme ? Et bien non, le bois c’est avant tout une industrie et un marché de matières premières. Le bois c’est trois quotations en bourse : le bois de chauffage (environ la moitié de la production), le bois de construction (majoritaire dans les pays industrialisés) et le bois de trituration (papier, carton, etc).
Le bois n’a donc pas échappé à la hausse des matières premières en bourse. A titre d’exemple, le prix du bois en dollars par 1000 pieds planche, est passé de 348.1$ en mai 2020 à 1607.5$ en mai 2021…aie ! Un marché en flux tendu mais pourquoi ?
- La mise en tension de la filière bois : les besoins des USA et de la Chine
La demande européenne, déjà bien présente, combinée à une augmentation spectaculaire des exportations vers l’Amérique du Nord et l’Asie a mis en tension toute la filière bois et aura fait flamber les prix ! Les plans de relance de l’économie américaine ont favorisé la construction bois car les Américains plébiscitent les maisons bois, construites à 80% avec ce matériau naturel, car ce matériau résiste mieux aux ouragans et tremblements de terre, des évènements climatiques fréquents dans cette partie du monde. De ce fait, et à cause du COVID, il y a eu une baisse de l’offre et une hausse de la demande, tendant tous les flux de la filière bois.
Les chinois ont arrêté la « récolte » de chêne dans leur pays. Beaucoup de pays ont interdit la vente de grume en direct mais pas certains pays européens comme la France En juillet dernier, suite à une attaque massive de traders chinois, 60% des chênes - sans aucune transformation - issus de forêts privées françaises étaient exportés vers la Chine tandis que 90% des scieries de chênes françaises n’ont plus assez de bois pour assurer leurs besoins annuels ! L’Europe serait-elle en voie de tiers-mondisation de plus en plus considérée comme une mine de matières premières ?
- Le bois, victime de son succès
Le bois est un matériau de construction écologique, flexible, économe en ressources, qui stocke du C02. En somme, un matériau naturel qui colle parfaitement avec les politiques de développement durable. Malheureusement ce succès le condamne : le bois est de moins en moins renouvelable puisque qu’on en consomme plus qu’il ne s’en produit. Chaque année environ 15 millions d'hectares de forêts disparaissent chaque année, soit l'équivalent de la Belgique. Et c’est là que le bas blesse, nous consommons de manière tellement effrénée que des ressources renouvelables ne se renouvellent plus, plus assez rapidement et plus avec la même qualité. Le bois n’est pas le seul, poissons, eau potable, tout y passe. Cette pénurie est l’expression d’une limite de notre économie de stock, c’est justement ce type d’économie qu’il faut transformer pour aller vers une économie de flux : seule économie réellement durable. On en revient ici à l’urgence vitale de trouver un équilibre entre biocapacité et empreinte écologique.
- Une monoculture de bois soumis au dérèglement climatique
Nous assistons à une industrialisation croissante de la forêt, avec la mécanisation des exploitations, l'arrivée massive d'abatteuses et de porteurs, des engins qui permettent de sortir le bois de la forêt, de plus en plus lourds. Rentabilité oblige, ces engins sont utilisés parfois dans des conditions qui ne respectent pas l'intégrité des sols.
D'autre part, les industriels de la filière bois souhaitent des volumes de plus en plus importants de bois standardisés conduisant à des peuplements monospécifiques, c'est-à-dire composés d’une seule essence, exploités de plus en plus en jeunes lesquels permettent un rendement financier maximum.
De la même façon les natures de coupe ont évolué passant d’une coupe sélective à des coupes rases par grandes surfaces anéantissant au passage la biodiversité qui s’était constitué au fil des années. Or il faut penser la forêt autrement qu’un hypermarché du bois devant s’adapter à la finance et la filière industrielle.
Sous nos latitudes, le dérèglement climatique entrainera vraisemblablement une augmentation de 2 à 3,5°C de la température annuelle moyenne, provoquant des étés probablement plus chauds et plus secs, des dégâts plus importants liés aux événements extrêmes (tempêtes, inondations, sécheresses) et une fréquence accrue d’infestations massives de ravageurs.
En effet, le développement accru de scolytes serait l’effet de périodes de croissance plus longues et plus chaudes permettant l’éclosion de générations supplémentaires dans l’année et multipliant les densités. De la même façon, les arbres en état de stress hydrique seraient affaiblis face à des maladies fongiques comme l’armillaire par exemple se répandant comme une trainée de poudre dans ces champs de monocultures sylvicoles.
L’arbre des possibles
« Aujourd’hui, les citoyens réclament plus d’arbres et de nature, où qu’ils habitent. Nos concitoyens désirent aussi consommer des produits plus durables. Les scieurs veulent un avenir et la possibilité de transmettre leur outil de travail. Les entrepreneurs du bois veulent produire de la qualité. Les forestiers espèrent que les arbres seront transformés et valorisés en beaux produits bois. Les naturalistes veulent que nos forêts soient riches d’animaux et végétaux en tout genre… »
Dans les années à venir, l’économie de flux et le circuit court devront être mis en place grâce à un cercle vertueux de la filière bois : de la forêt, aux scieries en passant par le transport.
Les essences de bois diversifiées produiront un matériau noble de qualité, exploitable par les industriels de la construction ou de mobilier.
Enfin, pour les protéger, nos forêts seront, soit gérées sous le statut de communs forestiers inaliénables, soit laissées sauvages pour en faire des ilots de biodiversité.
« Nous abusons de la terre parce que nous la considérons comme une commodité qui nous appartient. Si nous la considérons au contraire comme une communauté à laquelle nous appartenons, nous pouvons commencer à l’utiliser avec amour et respect. » Aldo Leopold